Le chantier ville-nature a intégré à ses réflexions l’idée d’un Projet Alimentaire Territorial (PAT) métropolitain. Une manière de favoriser la consommation de produits agricoles d’origine locale et contribuer à la fois au dynamisme économique et au développement durable des collectivités.
Jean-Marc Bertrand, responsable du Pôle Aménagement du territoire à la Chambre d’Agriculture des Bouches-du-Rhône, et Jean-Christophe Robert, co-fondateur de l’association « Filière Paysanne », en témoignent.
Le PAT est inscrit dans la Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt d’octobre 2014. Quels sont ses enjeux pour la Métropole ?
Jean-Marc Bertrand Pour diminuer le bilan carbone de l’agriculture, baisser les coûts des transports qu’elle engendre et proposer un meilleur prix à l’achat de ses produits, il nous faut plus de terres cultivables à proximité des consommateurs. Nous avons donc tout intérêt à bâtir une politique alimentaire à l’échelle d’Aix-Marseille-Provence, d’autant plus que le territoire métropolitain le permet, grâce à ses vastes étendues agricoles productives.
Jean-Christophe Robert La préservation de ces terres représente un enjeu essentiel : elles sont aujourd’hui massivement menacées par le béton ! La revalorisation des revenus des agriculteurs en est un autre, comme le renouvellement générationnel de la profession, face aux nombreux départs massifs à la retraite prévus à court terme. L’éducation alimentaire est enfin essentielle : la population doit prendre conscience des bienfaits économiques et environnementaux de la consommation locale.
Concrètement, que peut faire le PAT pour préserver les terres agricoles ?
J-M B Il faut avant tout capitaliser sur l’expérience acquise, en généralisant, à l’échelle de la métropole, le recours à des outils mis en œuvre actuellement par certaines collectivités : le PAEN[1] de Velaux, les projets de ZAP[2] à Vitrolles, à Cuges et à Rognac, les politiques foncières de la SAFER[3] sur le Pays d’Aubagne, Marseille Provence Métropole et sur le Pays d’Aix. Le problème est que si les terrains comprennent du bâti, leur prix élevé ne permet plus aux collectivités d’intervenir. L’entrée en jeu de structures comme l’EPFR[4] pourrait être envisagé dans ce cas.
J-C R La métropole devrait adopter des mesures de stabilisation des zones rurales, éventuellement avec un futur SCOT, en misant notamment sur la densification des secteurs déjà urbanisés pour le développement de la ville. Pour limiter la pression foncière, Filière Paysanne propose de rendre décisionnel, et non pas simplement consultatif comme c’est le cas aujourd’hui, l’avis des Commissions Départementales de Préservation des Espaces Agricoles. Cet avis est déjà décisionnel dans les départements d’outre-mer, avec de bons résultats.
Même si les terres agricoles sont préservées, parviendront-elles à assurer des revenus suffisants aux agriculteurs ?
J-C R Il est indispensable de développer de nouveaux marchés. La commande publique, à travers la restauration collective, en est un, peut-être le principal. Ce marché peut assurer aux producteurs locaux des commandes régulières et importantes, condition d’un modèle économique viable. Filière Paysanne accompagne d’ores et déjà une structure, la « plateforme paysanne locale », qui collecte des produits bio et les distribue à différents établissements scolaires du territoire. Elle amorce également des collaborations avec Échanges Paysans, une plateforme de distribution des Hautes-Alpes, ainsi qu’avec des producteurs des Alpes de Haute Provence engagés dans la démarche Régal qui valorise les produits locaux. En 2010, nous avons par ailleurs créé la première épicerie paysanne marseillaise, avec beaucoup de succès, et nous en développons actuellement d’autres. Une dizaine d’emplois équivalents temps plein a été déjà créée grâce à ces structures et de nouveaux porteurs de projet nous contactent actuellement. Plus d’une trentaine d’épiceries peuvent être envisagées à terme à l’échelle de la Métropole. Nous aimerions également créer à proximité du centre-ville de Marseille l’équivalent de la Halle Provençale de la communauté du pays d’Aix. Cette structure offrirait un nouveau débouché aux producteurs locaux. Elle ouvrirait en journée et serait ainsi complémentaire du MIN[5] des Arnavaux, délaissé par certains restaurateurs et détaillants marseillais, à cause d’horaires trop contraignants. Les circuits courts sous toutes leurs formes – associations de paniers à la commande, AMAP, marchés paysans, vente à la ferme… – présentent un vrai potentiel de développement.
J-M B Grâce à l’opération « Goûtez au 13 », la Chambre d’Agriculture approvisionne la restauration collective en produits locaux, à savoir plus de 200 tonnes de fruits et légumes distribués auprès de 80 établissements, collèges et cuisines centrales. La gamme de produits frais va être élargie aux produits transformés (4ème et 5ème gamme) pour répondre aux demandes spécifiques de la restauration collective. La Chambre d’Agriculture envisage également le développement de ce dispositif à l’échelle de la métropole, grâce à un maillage s’appuyant sur de grandes plateformes logistiques de distribution. La Chambre traite des produits issus de l’agriculture raisonnée, en quantité importantes avec des circuits de distribution plus étendus. Les produits issus de l’agriculture biologique sont également distribués mais en moindre quantité. Pour aller plus loin, au delà des nouveaux marchés, il faudrait mettre en œuvre une approche de type marketing territorial, afin de renforcer l’attractivité des territoires aux yeux des agriculteurs. Leur installation est aujourd’hui un parcours du combattant. Au-delà des politiques foncières mises en œuvre, les collectivités devraient déployer un véritable dispositif d’accueil des entreprises agricoles, à l’instar de ce qui est fait en faveur des services, de l’industrie et du commerce. Elles pourraient s’engager, par exemple, à acheter une partie de la production des jeunes agriculteurs nouvellement installées et à les aider à respecter les exigences environnementales et de qualité, afin d’être en phase avec le consommateur.
Quels partenariats envisagez-vous pour le développement de ces projets ?
J-M B Les partenaires seront à l’image du territoire actuel, car nos projets ne devront et ne pourront pas effacer tout ce qui préexiste. Les élus locaux se les approprieront s’ils rencontrent la sensibilité et les logiques de fonctionnement de leurs collectivités. De même pour les partenaires privés, car il serait compliqué d’inventer des métiers dont nous n’avons pas la maîtrise. Par exemple, pour organiser la distribution depuis les nombreuses plateformes de collecte que nous souhaitons réaliser, nous allons mobiliser le réseau d’entreprises de logistique qui œuvrent déjà sur le territoire de la future métropole.
J-C R L’implication directe des collectivités locales réunies au sein de la métropole est indispensable à l’émergence et à la pérennité de tous ces projets. Nous travaillons également en concertation avec les services de l’État, la DRAF[6] en particulier, et le conseil régional. Ce dernier élabore, à son échelle, un projet sur les systèmes alimentaires territoriaux et bénéficie d’une expérience incontestable en ce sens. L'Observatoire régional des circuits courts apporte également à nos structures un appui précieux, coordonné par la Chambre d'Agriculture et l'association Bio de Provence. Nous collaborons in fine avec les acteurs de la restauration, privée et collective, ainsi que de la distribution, notamment les détaillants. Sans oublier les consommateurs qu’il faut mobiliser et impliquer !
Quantitativement, quel développement de l’agriculture pouvons-nous attendre grâce à la mise en œuvre du PAT métropolitain ?
J-M B Nous approvisionnons actuellement plus de 200 tonnes par an, une couverture de l’ensemble de la métropole nécessiterait de tripler ces volumes. Il est intéressant de souligner qu’à l’échelle de la métropole, les capacités actuelles de production agricole sont d’ores et déjà supérieures aux besoins en alimentation. Plus qu’un outil de développement quantitatif, le PAT peut donc représenter l’opportunité de redéployer une partie des grandes cultures destinées à l’exportation vers la consommation d’Aix-Marseille-Provence. Ces cultures bénéficient de certifications internationales, répondant aux critères de qualité et de respect de l’environnement, qui font référence localement et peuvent se commercialiser à un prix très concurrentiel – attractif pour la commande publique – du fait de leur production massive.
J-C R Avec l’une des principales activités que nous impulsons, la plateforme de restauration collective, nous estimons pouvoir multiplier par cinq le volume actuellement distribué de fruits et légumes et créer trois autres structures du même type. Notre objectif est d’atteindre 200 à 300 tonnes de produits traités par an et par plateforme. D’autres structures existantes, avec lesquelles nous sommes en lien, pourraient connaître un développement similaire. Il faudrait pour cela que les collectivités aient envie de participer à cette dynamique, en assurant dans leurs cantines un approvisionnement local. Nous avons toutes les chances d’avoir un accueil favorable car les parents d’élèves sont de plus en plus demandeurs !
Comment le PAT pourrait-il être mis à l’œuvre par la nouvelle métropole ?
J-C R L’élaboration et la concrétisation du PAT sont encore largement à l’étude. Il est prévu actuellement de créer deux postes de chargé de mission sur trois ans grâce à une enveloppe de 100 000 euros annuels financés par l’État, la Région, l’Union européenne et les collectivités publiques qui souhaitent rejoindre ce projet. La métropole pourra ainsi stabiliser les différentes propositions formulées dans un cadre cohérent qui constituera le PAT. Il articulera de grands axes d’intervention autour du foncier, de la commercialisation, de la formation, du renouvellement des générations, de l’éducation alimentaire… À partir de là, il faudra arrêter des projets spécifiques, identifier pour chacun d’eux les moyens financiers, et animer le territoire pour favoriser l’implication de tous les acteurs publics et privés.
J-M B La première étape du travail comportera un diagnostic complet de la demande. Notamment celle de la restauration collective, ainsi que de l’offre, bio et conventionnelle, que les agriculteurs locaux sont en mesure de proposer en termes de produits par saison, de gamme, de prix… Ensuite, nous réfléchirons aux modes de mise en relation du monde agricole avec les différents marchés identifiés — professionnels de la restauration, détaillants, particuliers — via des interfaces internet, la réalisation de plateformes logistiques ou encore la mise en place de circuits courts. Un système de distribution complet et cohérent à l’échelle du territoire est déterminant.
[1]. Périmètre de protection et de mise en valeur des espace agricoles et naturels périurbains.
[2]. Zone Agricole Protégée.
[3]. Société d'Aménagement Foncier et d'Établissement Rural.
[4]. Établissement Public Foncier Régional.
[5]. Marché d’Intérêt National.
[6]. Direction Régionale de l’Agriculture et de la Forêt.